Les tensions commerciales doivent se désamorcer
Stephen Lingard - 2 juin 2025
L’exceptionnalisme américain commence à vaciller à mesure que de plus en plus de pays sont visés par des menaces tarifaires. Les tensions commerciales s’apaiseront-elles à temps pour sauver l’économie mondiale?
Depuis la pandémie et jusqu’à l’investiture de Donald Trump en tant que 47e président des États-Unis, l’économie américaine a fait preuve d’une résilience remarquable, affichant une croissance supérieure à la tendance réelle estimée à 2 % par an dans *85 % des cas (*données trimestrielles, annualisées, 16 fois sur 19). L’appétit soutenu des consommateurs et la vigueur des dépenses budgétaires ont alimenté une croissance solide malgré des taux d’intérêt directeurs qui ont augmenté de plus de 500 points de base depuis leur niveau plancher après la grande crise financière ; une dynamique qui s’est répétée durant la pandémie. Une baisse de l’inflation vers l’objectif de 2 % de la Fed a conduit à la fin du resserrement monétaire et même à une baisse exceptionnelle des taux de 50 pb à l’automne 2024. De plus, l’effervescence autour de l’intelligence artificielle et son déploiement (sous la houlette des entreprises américaines) ont valu aux actifs américains le qualificatif d’« exceptionnels », qu’il s’agisse des actions ou du dollar. La volatilité implicite des actions, mesurée par le VIX, est restée sous la barre des 20 %, et il semblait que tout le monde, y compris les investisseurs, voulait profiter de l’économie américaine et de ses marchés.
Cependant, plus récemment, cet exceptionnalisme a été remis en question, à mesure que les actifs américains commençaient à enregistrer des performances médiocres pour plusieurs raisons. On dit souvent que l’économie n’est pas l’équivalent du marché boursier et vice versa. Il n’est donc pas surprenant que l’abandon du système commercial mondial défendu par les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale puisse avoir un effet négatif sur les actifs américains. Le président était-il réellement sérieux dans son obsession envers les déficits commerciaux avec d’autres pays et dans sa volonté de les réduire pour rétablir l’équilibre, alors qu’ils ne sont en réalité qu’un reflet des principes fondamentaux de l’économie : celui de l’avantage comparatif et le fait que le pays avec la richesse par habitant la plus élevée au monde entraîne une augmentation des importations américaines de biens et de services?
Il va de soi que le peuple américain a le droit d’opérer ces changements en réélisant le président Trump pour un second mandat, avec pour mission de ramener davantage d’emplois manufacturiers aux États-Unis après des décennies de délocalisation (et d’automatisation, un facteur largement ignoré parce qu’il ne cadre pas avec le récit dominant). Mais on peut alors se demander si une nouvelle économie américaine (et mondiale) pourrait émerger et avoir des répercussions importantes sur un large éventail de catégories d’actifs et de secteurs, au point de remettre en cause la domination des actifs américains en matière de valorisation.
Cette « nouvelle » économie potentielle aurait probablement pour effet d’affaiblir la croissance à court terme et d’alimenter l’inflation, augmentant ainsi les probabilités d’une stagflation, voire d’une récession. Dans les deux cas, les prix des actifs seraient ébranlés et les investisseurs à court, moyen et même long terme qui avaient accumulé des positions « exceptionnelles » sur des actifs libellés en dollars américains pourraient se détourner des États-Unis de manière significative. Même si les investisseurs à long terme, tels que les fonds de dotation, les fonds de pension et les fonds souverains, cherchaient à diversifier progressivement leurs placements hors des États-Unis, des milliards d’actifs américains pourraient en être affectés.
Ainsi, bien qu’il y ait sans doute un certain mérite aux politiques économiques de M. Trump visant à rééquilibrer les relations commerciales et à diversifier l’économie américaine en rapatriant une partie des emplois manufacturiers, il est probable que les marchés devront procéder à une réévaluation à court terme, dans un contexte d’incertitude persistante. Comment les entreprises peuvent-elles envisager des investissements en capital en ces temps incertains?
Récemment, les niveaux tarifaires ont été largement revus à la baisse, notamment par la Chine, où ils avaient atteint 145 %, ce qui équivalait à un embargo commercial. Cette escalade avait pour but de mettre la Chine à genoux, M. Trump croyant avoir toutes les cartes en main. Malheureusement, il semble avoir oublié que la Chine exporte désormais beaucoup plus vers d’autres régions du monde, en particulier vers l’ANASE et le Moyen-Orient, compensant ainsi la perte de ses exportations vers les États-Unis. Les exportations américaines et le ralentissement qui en découle en raison de ces tarifs punitifs, bien que préjudiciables, représentent moins de 3 % de l’économie chinoise, ce qui rend la Chine beaucoup moins dépendante qu’au début du siècle.
Même si les niveaux tarifaires diminuent par rapport aux scénarios les plus pessimistes, ils sont là pour rester, et les tarifs douaniers constituent une taxe pour les consommateurs et les entreprises, freinant la croissance et faisant grimper les prix. La volatilité et des primes de risque plus élevées risquent de devenir une caractéristique permanente de cette administration chaotique. Et pour ceux qui ont lu le livre de M. Trump « The Art of the Deal », tout cela fait partie du plan.
About the Author
Stephen Lingard, MBA, CFA
Stephen Lingard, Vice-président principal et co-chef des stratégies multi-actifs, apporte une expérience mondiale concrète à son rôle, ayant étudié et travaillé en Europe, aux États-Unis et en Asie au cours de sa carrière de plus de 27 ans. Il s’est joint à Gestion mondiale d’actifs CI (GMA CI) en 2019 en tant que gestionnaire de portefeuille multi-actifs et chef de recherche, centré sur la stratégie macroéconomique, d’actions et la stratégie alternative. Avant GMA CI, Stephen était chef des solutions de gestion multi-actifs chez Franklin Templeton (Canada/Asie). Avant cela, il était gestionnaire d’investissements chez Fidelity Investments (États-Unis et Canada) etétait courtier en obligations à la Société Générale Asia (Singapour) avant cela. Stephen est détenteur du titre CFA et d’un baccalauréat en administration des affaires de l’Université Western et détient un MBA de l’EU Business School. Il est également membre de la Toronto CFA Society et passe son temps libre avec l’équipe de soccer de North Toronto et l’équipe de hockey de Leaside.